Un bruit sourd me fit me relever brusquement. La porte... Quelqu'un pénétrait à l'intérieur. Non ! Pas maintenant ! Je saisis rapidement mon oreiller et y enfouis mon visage, recroquevillée sur moi-même. Avec un peu de chance, ce ne serait qu'Alyss, qui passerait son chemin jusqu'à son lit sans prendre la peine de m'accorder la moindre attention. Avec un peu de chance, ce ne serait qu'elle, qui ne penserait certainement pas à venir vérifier si j'étais là ou pas. Avec un peu de chance, personne ne verrait les larmes qui striaient mes joues, ouvrant des plaies sans fond sur mon visage et dans mon cœur.

J'ai rêvé.
Pour la première fois depuis deux ans, j'ai rêvé.

J'ai rêvé d'une forêt enneigée. Le froid mordant faisait rougir les joues d'Arwen qui se pelotonnait dans ses vêtements de fourrure. Nos souffles faisaient jaillir des nuages de buée de nos bouches. Nos pas laissaient derrière nous des traces qui auraient tôt fait d'être recouvertes, avalées par la neige qui tombait doucement. Nous marchions d'un air songeur, plongées dans nos pensées, nos vêtements clairs se fondant dans le décor immaculé. J'ai toujours adoré la neige. Dans mon rêve, elle était un baume sur mes blessures insondables. Une petite apparaissait soudainement derrière nous avec un cri sauvage, tirant une exclamation surprise à Arwen. Nous nous retournions.

Eowin. Eowin, le sourire aux lèvres, son bonnet ôté serré dans sa main gantée, la neige s'accrochant à ses longs cheveux blonds. Elle était toute de blanc vêtue, le teint rougi par le froid et l'excitation.
Et puis les ténèbres du réveil, baignées de larmes plus sombres que le plus profond des cauchemars.

Je pleure sur les défunts qui manqueront à jamais dans le cœur des survivants.
Je pleure sur l'âme de ceux qui n'auront plus jamais d'importance dans ce monde, si peu en avaient-ils avant leur disparition.
Je pleure sur ma vie brisée, arrachée, démembrée, dont les fragments sont autant d'étoiles mortes. Je pleure sur la lumière qui s'est éteinte pour l'éternité, perdue dans les flammes les plus sombres de cette nuit d'hiver où la neige cherchait vainement à cacher ce qui ne sera jamais que destruction. Je pleure sur le sourire d'une enfant innocente qui a reçu le châtiment des plus infâmes sorcières.

Dans mon effort pour stopper mes larmes, je commence à trembler. Mes sanglots, au lieu de s'éloigner, se rapprochent. Mon oreiller s'imbibe d'eau salée que mon esprit, incapable de contenir, laisse échapper par milliers.

Des bras maternels m'entourent, diffusant dans mon corps gelé une chaleur bienfaitrice. De longs cheveux blonds glissent doucement sur mes membres endoloris. Je caresse doucement l'une de ces mèches d'or tandis que mes larmes roulent avec vigueur sur mes joues, comme euphoriques d'enfin s'évader de leur prison et avides de découvrir le vaste monde qui les attend impatiemment. Ces cheveux ont-ils toujours été si semblables à ceux de notre mère ? Cette silhouette, a-t-elle toujours eu la grâce et la finesse de celle qui hante mes souvenirs ? Peut-être mon esprit désire-t-il oublier. Peut-être mon corps désire-t-il s'étendre dans un cercueil d'edelweiss et attendre la neige qui lui servira de linceul. Cette main qui me réchauffe doucement la nuque, n'a-t-elle pas appartenu à notre mère ? N'a-t-elle pas la même délicatesse, la même précaution ? Je cherche vainement une issue au cauchemar labyrinthique qui me tient lieu d'existence. Mais y en a-t-il une ?

Je me serre contre ma sœur – ou est-ce ma mère ? – et déverse mes perles salées dans son cou. Mes longs sanglots s'estompent lentement, le désespoir reflue à contrecœur. Je lève mes yeux où se noie l'océan vers les siens où brille le ciel. Elle me sourit tendrement. Le torrent se fait filet. Je tente de l'imiter mais mes lèvres sont ouvertes sur un hurlement muet.

« Je serai toujours là pour toi », parlent les siennes. « Je ne te laisserai jamais plus t'effondrer. Avançons ensemble. Pour eux. »

Le ruisseau devient tempête trempant cheveux, vêtements, draps. Je me laisse submerger. Elle saute, plonge et remonte, son fardeau encombrant ses frêles bras. J'inspire à plein poumons l'air pur qu'elle crée pour moi.
Cette angoisse et ce chagrin immuables me poursuivront toujours. Peut-être est-ce l'ombre qui m'effraie et me fait fuir en avant. Peut-être est-ce la lumière qui m'éblouit et m'empêche de faire un pas de plus. Mais je ne pourrai jamais m'en défaire. Elle sera là, dans mon cœur, dans mon âme, dans chaque mouvement que j'esquisserai, jusqu'à ce que la mort nous réunisse.