" Qu'est-ce qui t'es arrivé ? T'es passée à l'eau de Javel ?
- Maman ! Un monstre ! Regarde, elle a les yeux du grand méchant loup !
- Tu... t'es un fantôme ?
- Pourquoi tes yeux sont rouges, t'as pleuré ? "

Ce genre de remarques, c'est ce qui faisait son quotidien. Combiné avec des regards apeurés, curieux, interloqués, des enfants qui avaient peur de l'approcher. Elle avait l'impression d'être un monstre de foire. Les adultes lui disaient que tout allait bien, qu’elle était normale. Mais tout le monde ne fait pas une aussi drôle de tête quand un enfant normal arrive à l'école. Si ? Tant qu'elle était restée à la maison, l'italienne n'avait eu aucun commentaire, aucun problème; Mais à l'école, c'était différent. Elle avait 8 ans et depuis son arrivée au primaire tous ses charmants camarades de classe l'évitaient autant que possible. Elle était toujours hors du groupe, à côté, laissée pour compte. Un peu triste, mais elle ne voulait pas qu'on le voie. Les surnoms ne manquaient pas , mais personne n'utilisait le vrai mot. Elle était albinos, tout simplement. Pas un fantôme, pas le grand méchant loup, pas la reine des neiges, juste albinos. Mais Manon avait beau le répéter, ça ne rentrait dans la tête de personne; les enfants sont tellement cruels, quand ils veulent. Et ils ne s'en rendent même pas compte. Lorsqu’elle demandait quel était le vrai problème avec elle, son père répondait qu'elle était spéciale et qu'il l'aimait. Mais spéciale, est-ce que c'est " monstrueuse", "bizarre" et "anormale" ? Parce que c'était vraiment l'impression qu'elle avait. Lorsqu’elle demandait aux autres si elle pouvait jouer avec eux la réponse était négative. Elle n'avait pas d'amis , ça la rendait malade mais impossible de changer ça. Les garçons trouvaient très intelligent de lui tirer les cheveux, comme si ça allait leur apporter quelque chose dans la vie. Résultat, elle partait au quart de tour et finissait souvent avec des pansements , à s'excuser d'un air mauvais dans le bureau du directeur. Des excuses dont elle ne pensait pas un mot et qu'elle disait sur un ton tellement venimeux qu’elles ressemblaient à des insultes. Elle n'aimait pas aller à l'école, préférant rester à la maison là où on ne la regardait pas bizarrement. Certes, elle n'avait ni frère ni sœur, et sa mère avait mystérieusement disparu vers ses 4 ans, mais cette solitude là était plus agréable. Le primaire n'était pas vraiment agréable, et elle ne savait pas quoi faire .

~~

Ils marchaient dans la rue, leurs respirations formaient de petits nuages blancs qui s'élevaient pour disparaître dans le ciel gris de l'Hiver. L'air froid lui faisait presque mal lorsqu'elle inspirait. Définitivement, elle n'aimait pas beaucoup cette fichue saison. Comment pouvait-t il faire aussi froid alors qu'en Été elle mourait de chaud ? Ça la dépassait, mais à force on prenait l'habitude. C'était bientôt Noël, et les guirlandes clignotantes animaient les rues grises, les éclairant de leurs couleurs criardes. Rouge, jaune, vert, bleu. La foule semblait plus calme que d'habitude. Elle enroula de nouveau son écharpe autour de son cou. L'un des côtés tombait tout le temps malgré ses efforts pour le coincer, c'était vraiment désespérant. Se tournant vers son père, la demoiselle hésita quelques instants. Elle mourait d'envier de lui poser la même question que 5 ans plus tôt. Quand elle avait encore 8 ans.

" Eh, papa ? Mamma va revenir ? "

Elle souriait, ayant posé la question sur un ton qu'elle voulait léger. Pour éviter de lui plomber le moral. Car ce n'était pas l'objectif. Manon avait volontairement attendu la période de Noël pour lui redemander. Elle avait attendu que les guirlandes colorées et les décorations scintillantes soient dans la rue, que leurs lueurs éclairent les visages blêmis par l'Hiver . Que cette étrange atmosphère de fête se fasse ressentir. Pour que ça paraisse aussi innocent qu'avant. Même si elle avait grandi. Qu''en fin de compte, ils avaient grandi tous les deux. Ils s'arrêtèrent alors que la demoiselle fixait sur son père un regard curieux. Il passa une main dans ses cheveux d'un air gêné, laissant échapper un soupir. Elle savait bien qu'il avait horreur de cette question, mais peut être avait-t il reçu des infos qu'il ne lui aurait pas communiquées. Elle avait besoin de savoir ça. Même si c'était sans espoir et qu'elle savait très bien ce qu'il allait lui répondre. Ce qu'il allait faire. Peut être que la réponse aurait changé , cette année. En voyant le regard qu'il avait, elle comprit que non. Il l'entoura de ses bras, encore. Elle ferma les yeux.

" Je ne sais pas tesoro. "

Il ne savait jamais. Pourquoi ne répondait-t il pas simplement par non ? Manon était pourtant certaine que , depuis longtemps déjà , il avait cessé de penser qu'elle reviendrait un jour. Ou peut être se trompait elle, tout simplement; A force d'attendre sans résultats, la demoiselle ne ressentait plus de tristesse. Juste une espèce d'amertume. Il caressait doucement ses cheveux blancs, maintenant. Elle soupira. Sa mère n'avait jamais laissé aucun message , jamais appelé, jamais envoyé la moindre lettre. Rien. Elles les avait lâchés, comme ça. Elle ignorait jusqu'au visage de sa propre mère, il était perdu quelque part dans sa mémoire défaillante. En même temps, difficile d'avoir des souvenirs clairs à 4 ans. Elle se souvenait de très peu de choses à propos de cette femme, donc elle ne lui manquait pas trop. Mais son départ avait fait mal à son père, et ça c'était autre chose. Elle ne la haïssait pas pour autant, mais aurait quand même deux mots à lui dire.

" Pleure pas papa, on va te regarder bizarrement."

~~

Elle claqua la porte de sa chambre et la ferma aussitôt à clé. Puis l'adolescente se laissa tomber sur son lit. Elle ôta son cartable pour le jeter au pied du lit pour s'allongea sur le dos, prenant de grandes inspirations. Ces pestes l'avaient vraiment énervée , mais elle ne s'attendait pas à suffoquer de cette manière. Elle avait l'impression de brûler vive. Tous ces " t'es pas concernée , on veux pas voir ta face de fantôme près de nous Carbonara, tu nous fait honte" lui tapaient sur le système. On était plus à l'école primaire, alors pourquoi continuaient-t elles avec ces remarques au niveau intellectuel incroyaaaablement élevé ? Comme si c'était de sa faute si elle avait un nom de pastas. Comme si elle avait choisi d'avoir des cheveux blancs. Comme si ça allait changer quoi que ce soit de dire ça . Par miracle elle n'avait giflé personne. Non, elle s'était contentée de rentrer chez elle en vitesse pour ne pas se mettre à pleurer de frustration en public et de prendre la ferme décision de sécher les cours de cet après-midi. Touchant l'une de ses joues, Kiara remarqua qu’elle pleurait sans même s'en rendre compte. Sans faire le moindre bruit. Juste comme ça. C'était la première fois que ça lui arrivait. Ça faisait mal à la tête. Au début elle avait essayé de s'intégrer , mais ça ne fonctionnait pas. Donc elle avait laissé tomber cette idée débile. Elle n'avait pas besoin des autres pour aller bien, si ? Ces derniers temps les railleries étaient pires que d'habitude . Aujourd'hui, c'était plus que ce qu'elle pouvait supporter. Elle se redressa, assise sur le bord de son lit et poussa un profond soupir avant de se mettre à chanter. Sa voix était éraillée mais ça calmait les nerfs.

" J'ai pas grand chose à attendre,
J'suis mort sur un table d'sable
Et comme on parle
Ici tout m'est est égal.
Dans mon creux c'est des lits de paille
Et dans mon corps
Touche mon front,
Touche mon front
J'me sens tous les jours malade.
Et touche mon front si j'ai l'air pâle.

Mais j'étais solide autrefois,
Et r'garde moi j'suis qu'un bout de bois sans surprise,
Sans surprise et sans joie.
J'ai pas les épaules d'un soldats
Mais pardonnez moi c'est mon courage c'est pas moi
Qui s'décommande à chaque fois.
Et puisqu'ici tout m'est égal... "
Comme on parle - Charlie

Elle s'interrompit pour se moucher, effacer quelques larmes silencieuses. C'était vraiment désagréable de pleurer. Sa tête tournait. Elle s'allongea et ferma les yeux, souhaitant dormir au moins jusqu'à la fin de ses jours.

~~

" Infinite World ? Che cosa è ? "

Un air curieux apparut sur le visage de l'albinos. Son paternel arborait un sourire et sur le coup ça ne lui disait vraiment rien. Il se mit à lui expliquer que c'était un établissement spécial, mais pas en quoi il était spécial. Elle comprit juste que c'était au Japon et que Japon - Italie ça durait loooongtemps. Partir d'Italie ne lui plaisait vraiment pas. Comment survivre sans pizzas, je vous le demande ! Mais il lui assura que tout irait bien et qu'il y aurait des pizzas si elle y tenait à ce point. Elle répliqua énergiquement qu'elle espérait qu'il ne lui mentait pas. Sinon ça allait mal se passer. Ça n'eut pas le moindre effet, à y repenser, mais tant pis. Elle fit donc ses valises un peu à contre-cœur. Si loin de l'Italie, que pouvait-t il bien y avoir d'aussi intéressant ? Bon, au moins elle ne se traînerait plus les boulets de son établissement habituel. Ce fait lui parut tellement awesome que Manon se dépêcha de fermer les valises. Évidemment, elle était décalquée comme personne sur Terre lorsqu'ils atterrirent au Japon . Ça lui donnait envie de vomir mais se rappelant qu'elle n'avait rien mangé dans l'avion, donc rien à vomir, elle se retint. Finalement le jour d'après elle intégra l'établissement. Personne ne lui expliqua rien. Juste cette question pas nette, comme ça, hors de nulle part. Sur le coup ça la fit cligner des yeux. Qu'est-ce qu'ils voulaient dire ? Y avait-t il le moindre sens à cette question ? Au secours.

" Voulez vous faire partie de la battle ?
- Eh... Sì ? "

Sur le coup, elle se demanda dans quelle emm*rde elle avait mis les pieds.